Ce neuvième jour d’aventure devait être le plus intense : il le fut. Par le format de l’épreuve marathon tout d’abord : 262 kilomètres de pistes (et de hors-pistes) suivis de 374 kilomètres de route pour rallier Marrakech depuis le bivouac de Marzouga, le tout en 48h d’autonomie totale dans le désert. Idéalement, l’organisation avait prévu que les plus rapides atteindraient le kilomètre 230 à la tombée de la nuit, en laissant le reste pour le lendemain. Mais de la théorie à la pratique il y a toujours un fossé qu’il est dur de franchir, même pied au plancher.
Tout avait pourtant bien commencé. Levée à 7h30, Emilie avait déjà entrepris de préparer les affaires pour le départ. Préparant l’épreuve du jour en accumulant autant de sommeil que possible, Joachim qui avait fêté comme il se doit sa dernière nuit à Marzouga n’émergea de la tente que vers 8h30. S’attardant un peu au petit déjeuner, il était finalement prêt vers 9h30, et c’est à cette heure là que l’équipage s’élança pour atteindre le contrôle de sécurité à l’entrée des pistes ensablées avant 13h, sans quoi les retardataires rejoindraient sur la route ceux dont les défaillances mécaniques les empêchaient de prendre le départ, l’organisation ne voulant pas passer son temps à chercher ceux qui seraient physiquement incapables d’arriver au bout de la piste. Cependant, la perspective d’un tel isolement poussa nos comparses à attendre leurs compagnons de route des jours précédents, alors que ceux-ci passaient justement la contre-visite technique pour prendre le départ. Cuisant lentement au soleil, l’équipage 1667 attendit sur le bord des dunes jusqu’à 12h30, soit 30 minutes avant l’interdiction de prendre le départ, avant de se décider à s’élancer seul vers son destin.
Emilie entama alors les hostilités, conduisant au travers d’une plaine infinie entourée de montagnes noires. L’immensité de l’espace rendait l’orientation très difficile, et du fait de leur départ extrêmement tardif, aucune 4L n’était à leurs côtés pour les rassurer. Avançant à bonne allure, les premiers nuages de poussières à l’horizon confirmèrent que la direction indiquée par Joachim était la bonne, et ils parvinrent à rattraper les premières voitures qui s’étaient arrêtées pour le déjeuner. Prenant à leur tour 30 minutes pour se régaler d’un délicieux saumon à l’oseille sur son riz basmati, ils se retrouvèrent à nouveau en queue de peloton.
Joachim prit alors les commandes, le ventre plein et l’air décidé à arriver le plus loin possible à la tombée de la nuit. La motivation était d’autant plus grande que la nuit précédente avait été assez inconfortable, passée sur un lit de cailloux de taille modeste mais qui empêchaient le sang de circuler convenablement. Or, au vu de la taille des roches qui meublaient l’étendue désertique, il valait mieux quitter cet endroit avant de devoir y planter sa tente. Quelques kilomètres plus loin, les pierres disparurent pour laisser place à du sable noir parsemé de cailloux minuscules, entretenant une ressemblance frappante avec du goudron. Se fiant à cette similitude, Joachim en déduisit que le sol était roulant et battit le record de vitesse de l’équipage hors route, à savoir 90km/h sur cette sorte de sable qui se trouvait projeté à plusieurs mètres de hauteur après le passage de la voiture. Surtout, les renards prirent soin d’emprunter une trajectoire parallèle à la colonne de voitures qui se suivaient comme des escargots, et ils en doublèrent un bon nombre tant que dura ce formidable terrain.
Autre terroir autre difficulté. Après une modification brutale du cap, le vent changea tout à coup de direction et le sable de consistance : devenu extrêmement volatile, il se formait d’énormes nuages impossibles à éviter sous peine de trop s’écarter des traces et de s’ensabler dans les oueds voisins. L’équipage 1667 avança donc sur quelques kilomètres avec du sable qui s’engouffrait dans l’habitacle et les poumons de ses occupants. A la sortie de ce corridor ensablé, tout l’intérieur de la voiture était tapissé d’un demi centimètre de sable couleur ocre et goût de cendre. Rien n’y avait résisté, où que l’objet se trouvât dans la voiture. Ne pouvant continuer à respirer un air aussi vicié, nos sciences-pistes s’arrêtèrent, et déchargèrent toute la voiture en secouant les affaires une à une afin de chasser le sable. Les remettant ensuite dans la voiture, ils furent frappés de la place qu’ils avaient pour ranger leurs affaires dans le coffre alors que le volume disponible dans celui-ci avait jusqu’alors été plutôt réduit. Soudain, l’évidence leur apparut : il manquait deux roues de secours ! Le coffre ayant été fermé pendant la nuit, une grande discussion s’engagea pour savoir comment diable ces deux roues avaient bien pu être perdues, ou plus vraisemblablement volées. Rendant hommage à la dextérité des voleurs, ils reprirent leur route, perplexes.
Un obstacle d’un genre nouveau allait les tirer de leurs pensées : la traversée de cours d’eau. Ayant inféré des expériences précédentes que la 4L était capable de tout surmonter avec l’élan suffisant, ils prirent donc suffisamment de vitesse pour passer la petite rivière dans un grand éclat d’eau. Une station de pompage fonctionnant peu après, un nouveau cours d’eau bien plus profond coulait en aval, laissant la possibilité de le contourner en amont. N’ayant d’abord pas considéré cette possibilité, Joachim se reprocha de la rive et tâta le terrain. De l’autre côté, un journaliste de France 3 lui assura qu’il passerait à la télé s’il passait la rivière. De l’autre, un équipage embourbé et sa copilote l’exhortèrent de n’en rien faire. Cédant à la voix de la raison, il contourna donc l’eau la mort dans l’âme, espérant que d’autres attractions viendraient pimenter sa journée.
En attendant, l’attraction était surtout constituée par la 4L pour les enfants de ces régions désolées, dont l’agressivité ce jour-là n’avait d’égale que la nervosité de l’équipage. Forçant la voiture à ralentir en se jetant presque sous les roues, les enfants avaient ensuite pour jeu de donner des coups de pieds dans les portières. L’un d’eux, particulièrement adroit, parvint même à atteindre le rétroviseur gauche, le déplaçant pile poil pour que le conducteur puisse voir quelque chose d’autre que les poignées de porte.. Espérant calmer ces enfants déchainés, l’équipage donna en pâture à ces fauves les bonbons LCL qui lui restait sous emballage : il provoqua immédiatement une guerre fratricide qui lui permit au moins de rouler sans trop d’encombres.
Le jour commençait à décliner, et le cap changea pour sortir de cette plaine ensablée cernée de montagnes. Cependant, la direction était précisément celle du soleil, et le fait de rouler à contre-jour ajouté à la crasse du pare-brise et à la poussière soulevée par les équipages précédent réduisait considérablement la visibilité. Cependant, le sable était plutôt lisse à l’exception de cailloux de taille modeste, permettant de rouler à grande vitesse. Soudain, alors qu’Emilie et Joachim discutaient une nouvelle hypothèse expliquant la disparition de leurs deux pneus, un bruit fracassant retentit. Tout se passa très vite, ils eurent la sensation d’être projetés en l’air, et retombèrent dans un fracas effroyable, tout ce qui était posé autour d’eux sautant jusqu’au plafond et retombant n’importe où dans l’habitacle. Le moteur hurla et s’éteignit. Sans rien comprendre à ce qui s’était passé, abasourdis, ils surent leur 4L Trophy terminé. Le cœur serré, presque tremblant tant ce qui s’était passé était violent et inexplicable, ils descendirent de la voiture. Jetant un coup d’œil à la plaque de protection en acier de 12mm d’épaisseur fixée sous le moteur, ils virent qu’elle était enfoncée d’au moins 10cm, écrasant une partie du moteur et rentrant dans le châssis par endroits. Sur la zone de l’impact, la plaque avait été éventrée. Regardant derrière eux, ils virent un énorme bloc haut de plus de 30cm, qui lui n’avait pas bougé. Reconstituant ce qui s’était passé, ils comprirent qu’ils avaient heurté la pierre, et que la plaque avait été suffisamment résistante pour permettre à la voiture de décoller plutôt que d’être d’arrêtée net ou d’être coupée en deux en heurtant le bloc. La voiture avait ensuite atterri sur ses 4 roues, les amortisseurs prenant un choc jamais rêvé par les ingénieurs Renault.
Cherchant à voir ce qui ne marchait pas, Joachim tourna la clé et quelle ne fut pas sa surprise de découvrir que le moteur tournait encore. Mieux, la première pouvait être enclenchée et la voiture avançait encore. Nos deux esprits cartésiens avaient complètement perdu les pédales, et acceptèrent volontiers l’explication fantastico-mystico-religieuse, attribuant ce miracle tour à tour au dieu de la 4L, à l’esprit de la 4L ou modèle Savane de la 4L.
Quoi qu’il en soit, ils décidèrent de continuer, profitant à fond de l’avance qu’ils avaient prise au cours de l’après-midi. Le soleil tombait derrière les montagnes, mais il fallait encore en sortir pour atteindre le kilomètre 230 prévu par l’organisation comme le maximum faisable en une journée. L’interdiction de rouler de nuit avait été donnée pour des raisons de sécurité évidentes, mais il restait encore quelques dizaines de minutes de luminosité crépusculaire. Alors que ceux dont les nerfs lâchaient s’arrêtaient sur le bord de la piste pour y passer la nuit, notre 4L morte-vivante roulait à tombeaux ouverts derrière deux autres véhicules jusqu’à atteindre une piste au sommet d’un talus, la dernière jusqu’à l’arrêt. Il fallut encore monter le talus, chose que l’avant-garde des 1500 4L terminait tout juste. Alors que les deux voitures qui avaient tâté la piste pour nos aventuriers décidaient de passer la nuit au pied du talus, ceux-ci décidèrent au terme de délibérations acharnées de s’accrocher au groupe de tête pour atteindre au but. Alors qu’une légère lumière orangée les séparait encore de la nuit noire, les renards ne pouvaient se raccrocher à travers la poussière qu’aux deux feux arrière de ceux qui les précédaient. Pendant que Joachim, ses lunettes de soleil toujours sur le nez car elles faisaient aussi lunettes de vue, plissait les yeux pour ne pas perdre de vue les deux points rouges au milieu de la poussière, Emilie sortait la tête de la voiture pour vérifier que le fossé qui longeait la piste n’était pas trop près de leurs roues.
Finalement, ils attinrent sains et saufs le bivouac sommaire dressé par les premiers, tous levés aux aurores et 4L Trophystes aguerris, qui n’en revenaient pas qu’une telle distance ait été couverte en entrant si tard en piste. Etant parvenus au bout du désert avant d’emprunter la route le lendemain pour Marrakech, l’équipage 1667 se félicita mutuellement pour cet excellent travail, fit un bisou à sa monture et s’en alla manger des marshmallows grillés au feu de camp allumé sous les étoiles.